Camp Minogami

Expérience Broadback

Publié par Florence Bouvet-Bouchard
mercredi 15 avril 2015

Les grands rêveurs

♫ On ne voit loin devant que de l’eau des arbres et des
bûches. On ne sent que le vent; on n’entend que le bruit des canots dans l’eau. ♫

La lune se lève sur la Broadback. On est loin de nos premières expéditions. Où on allait à peine de l’autre côté du lac. Aujourd’hui, vingt deux heures de voiture nous séparent de notre point de départ. Trente deux jours de canot
nous séparent de notre point d’arrivée.

Pour sortir de ce quotidien qui nous étouffe. Pour faire face à ces paradis qui nous font peur. Nous sommes 7 filles et 5 gars. Rapprochés par l’inconnu.

Ici, l’eau est froide. Le soleil se couche vers vingt deux heures. Nous laissant à la mélodie des rapides. Et au ciel immense. Et aux étoiles innombrables. Et à nous-mêmes. Nous sommes libres, nous sommes nomades. Tout ce qu’on possède, on le traîne. Linge de jour, linge de soir. Une routine s’installe. Nous laissant croire que nous
gardons un certain contrôle. On ne connaît pas quelle température il fera le lendemain.

On ne sait pas quand le vent sera si fort qu’il nous empêchera d’avancer. Quand les défis physiques nous mèneront bien au-delà de nos limites. Tout ce que l’on sait, c’est que quoi qu’il arrive, on ne le vivra pas seul. La nature n’est pas hostile, elle est puissante. Elle me regarde de haut et je me sens…petite.

Nous sommes revenus avec émoi, se promettant une prochaine fois. Et ce que je garde de mon expédition sur la
Broadback, ce n’est pas la perte de notre équipement, ce ne sont pas les jours de pluie ni même les couchers de soleil plus grands que nature. Ce sont les gens : Thomas, Raphaëlle, Élisabeth, Alix, Germain, Clément, Léa, Colin,
Béatrice, Vincent, Lia. Nous avons atteint, je crois, un niveau dans les relations humaines que je souhaite à tous d’atteindre. Je sentais que je faisais partie d’un tout, de quelque chose qui va au delà de moi. Être ensemble était devenu naturel. Pourtant, si on nous avait placé tous ensemble dans n’importe quel autre contexte, une salle de classe par exemple, nous n’aurions jamais atteint ce niveau de bien-être. Pourquoi? Peut-être parce que pendant un
mois, les distractions de notre société branchée n’arrivaient pas jusqu’à nous. Pas de téléphone, pas d’électricité, pas de connexion internet. Tout ce qui importait, c’était l’autre, l’humain. Peut-être aussi parce que nous avions besoin de l’autre, notre bien-être, pour ne pas dire notre survie, dépendait de celui-ci. Peut-être aussi parce que nous n’avions plus les étiquettes que nous trimballons avec nous toute notre vie. En temps normal, nous sommes définis par notre métier, notre domaine d’études, nos loisirs, nos opinions politiques, nos amis. Mais en portage, comme en expédition, on ne prend avec nous que l’essentiel : l’essence de qui nous sommes. Cette essence prend le dessus sur tout et lorsqu’il ne reste plus qu’elle, alors ce qui compte c’est l’autre, dans toute sa simplicité.

Aujourd’hui, il y a bien longtemps que j’ai rangé mon sac. La lune se couche sur la Broadback.

Florence Bouvet-Bouchard